Thierry Birrer - Photograph...isme
" Quand la vérité est un authentique mensonge "
Ou comment partir d'un faux manifeste pour jeter l'opprobe.
– rédigé les 5 et 6/5/2017 –


A force de vouloir soulever le tapis des medias pour y dénoncer les mensonges qui s'y dissimulent, certains oublient tellement de réfléchir qu'il se prennent les pieds dans ledit tapis.

Cela commence toujours de la même façon, par un partage sur un réseau social.
Cette fois, il s’agit d’une information publiée par le site Dreuz.info le 4 mai très tôt dans la nuit, donc quelques heures à peine après le débat qui a vu s’opposer sur BFM-TV les deux candidats au second tour de la présidentielle 2017.
Le titre est sans équivoque : « Les documents d’évasion fiscale de Macron sont authentiques ».
L’article, signé Alain Léger, est immédiatement partagé sur le réseau Facebook par ceux qui soutiennent la candidate frontiste.

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L’émetteur est un site d’informations sur le net, Dreuz.info. Un site qui dit s’attaquer aux mensonges des médias au travers de son accroche de haut de page d'accueil :

Une accroche complétée un peu plus bas sur la page d’accueil par : « Dreuz est un site américain conservateur, chrétien et pro-israélien. Comme nous sommes tout ce que les journalistes détestent, ils nous appellent "fachosphère" ! »
Une telle présentation nécessite d’avancer avec méfiance. Il n’y a souvent pas plus menteur que celui qui clame vouloir faire la vérité, toute la vérité, enfin la vérité.
Surtout que l’article publié par le site Dreuz débute par une précaution : « Il convient de le prendre pour une opinion et non une réalité. L’auteur a d’ailleurs écrit sous pseudo ce qui doit engager à la réserve. » Dans ce cas là, pourquoi afficher un titre aussi affirmatif ?
Rien que pour ces mots en préambule du propos, on ne doit pas poursuivre la lecture, on doit même jeter, et bien sûr on ne doit pas partager.
L'information, c'est un truc sérieux qui requiert quelques règles sinon, tout se mélange, le discrédit est jeté, ça donne un cloaque immonde, une espèce de sables mouvants où l'on s'englue, ce dont se réjouissent ceux qui veulent que justement nous nous y engluions.

Le plus étonnant, c’est la conclusion du texte, traduit de l’américain : « À mon avis, il n’y a aucune raison de supposer que ces documents sont faux. »
Et bien si, justement, rien qu'à voir l'émetteur original de l'info, le site Got-News dont l’article est traduit et dont l'auteur américain est un véritable troll d'internet spécialiste de la désinformation. La liste de ses articles ayant par le passé été dénoncés et prouvés comme faux est longue comme le bras (celle contre le sénateur B. Menendez est pas mal dans le genre). Tout est d'ailleurs dit dans une de ses interviews : « I’m going to enthusiastically burn down the entire political establishment for fun. »
L'information, la vraie, celle qui doit nous guider dans nos décisions – surtout au moment de glisser un bulletin dans une urne – ne doit au grand jamais être « for fun » !

On commencera par noter que – ce dont il ne s'en cache pas – Alain Leger traduit un article. Avec une petite modification tout de même. Pas si "petite" que cela puisqu'il s'agit du ... titre. En effet si le titre sur Dreuz est « Les documents d’évasion fiscale de Macron sont authentiques », le titre sur le site Got-News est exactement « Les documents d’évasion fiscale d’Emmanuel Macron sont-ils authentiques ? ».

Que dit l’article du 4 mai 2017 ?
Il y a en fait deux articles, tous deux signés Alain Leger. Les deux articles ont la même raison d’être : amener les preuves, au moyen de copies de divers documents, que le candidat Emmanuel Macron possède un compte dans un paradis fiscal, plus précisément dans l’ïle de Saint Kitts and Nevis.
Dans le premier article, il est cependant préambulé : « Des documents légaux et bancaires – dont Dreuz n’a pas été en mesure de vérifier l’authenticité – semblent indiquer qu’Emmanuel Macron a créé une société (LLC) dans un paradis fiscal et ouvert un compte bancaire au Grand Cayman. ».
Dans le second, on peut également lire : « Il convient de le prendre pour une opinion et non une réalité. L’auteur a d’ailleurs écrit sous pseudo ce qui doit engager à la réserve. » A chaque fois, ces réserves n’apparaissent nullement dans le libellé du titre (alors que c'est exactement l'inverse sur le site GotNews). Or que retient-on en premier lieu d’un article ? Son titre.

S’ensuit un déferlement de commentaires de cris de vierges effarouchées, de bonnes âmes touchées, de haros sur le complot parmi lesquels nombreux sont ceux qui se justifient par le fait que la candidate du FN a parlé de ce compte aux Bahamas la veille lors du débat en invitant les téléspectateurs à vérifier par eux-mêmes sur internet :

Sauf qu'il s'avère que ... la source est bidonnée, les pièces justificatives sont fausses.
Le site Dreuz s’empresse alors de publier, en en-tête de son article, un rectificatif :

Mise à jour :

Le Monde rapporte qu’En Marche ! dans un communiqué, affirme avoir vu apparaître cette information deux heures avant le débat. « Cette information est apparue deux heures avant le début du débat » et il s’agit d' « une fake news [qui a] fait son chemin en quelques heures jusqu’au cœur de la campagne présidentielle française, déplore En Marche ! dans son communiqué. »
De plus, Le Monde a comparé les documents avec d’autres du même type et considère qu’ils sont faux.

Une mise à jour qui prête à sourire pour deux raisons : la première c’est parce qu’elle se base sur un article d’un média classé comme souvent « mensonger » par Dreuz, la seconde c’est qu’en moins de cinq minutes, n’importe quel internaute pouvait vérifier que l’origine de l’information émanait d’un personnage peu sérieux.

Face aux reproches alors énoncés par certains internautes tel ce « dommage de publier une info non vérifiée », le site se défend en répondant que l’internaute ne comprend pas son métier de journalisme :


Visiblement, face au procédé particulièrement malsain et le mensonge avéré, le site Dreuz décide alors de totalement retirer son article :

 

Cette définition du journalisme ne convient visiblement pas à tous les lecteurs : « le journalisme sérieux devrait rester crédible » écrit l’un d'eux tandis qu’un autre questionne : « d’après vos normes, n’importe quelle rumeur doit-être relayée par les journalistes ? ».
Sur 144 commentaires, ils ne sont cependant que 4 à réagir de la sorte.



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Pour d’autres, beaucoup plus nombreux, la fin justifie les moyens


Malgré cette explication de Dreuz concernant son retrait, certains internautes doivent, soit ne pas savoir lire, soit ne pas comprendre ce qu’ils lisent, soit doivent penser que Dreuz leur ment aussi, puisqu’ils continuent à réagir contre E. Macron tout au long des deux journées suivantes. Pour l'un, si l'article est retiré, c'est que « Macron est super protégé ». Pour une autre, cela beau être un faux, elle demande « mais qu'est devenu l'argent ?  ».



Certains, ne s’attachant qu’au titre, sautent allégrement sur les rectificatifs et commentaires et n’hésitent pas, quittent à se faire railler, à enfoncer le clou : « Merci car vous êtes le seul à reprendre cette info » ou « Vous avez parfaitement raison (...) Merci à Dreuz ».
Et peu importe que les justificatifs ayant permis cette affaire soient des faux puisqu’un internaute commente : « Vu ce qu’il s’est passé avec Monsieur Fillon, je pense qu’il faut poursuivre cette affaire ».




Quant à un autre, il affiche une certaine vision de la presse :

Alors, pour ce monsieur comme pour tous les autres qui attaquent sans cesse la presse, il est bon de faire un petit rappel.
Journaliste est un métier. Faire de l'information est un métier. Comme tout métier, il a ses règles. La première de ces règles se nomme la déontologie.
La Charte de déontologie de Munich (aussi nommée Déclaration des devoirs et des droits des journalistes), signée en novembre 1971 à Munich et adoptée par la Fédération européenne des journalistes, est la référence concernant la déontologie du journalisme, en distinguant dix devoirs et cinq droits. Une charte que Dreuz.info et ses plumes ne peuvent ignorer, surtout quand ils clament en préambule dénoncer les mensonges des autres.
Le point 3 de cette charte est clair : « Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.» Certes A. Leger a écrit « Il convient de le prendre pour une opinion et non une réalité. L’auteur a d’ailleurs écrit sous pseudo ce qui doit engager à la réserve. » La première des réserves aurait été de vérifier. Ce qui était fort simple et aurait vite révélé la supercherie. D'ailleurs la traduction de l'article originel a pris bien plus de temps que la simple vérification des faits avancés.
Mais en transformant de surcroît le titre de son article, A. Leger l'altère, ce qui ne respecte pas le point 3. de la charte. De plus dans le point 8 de cette charte, il est aussi stipulé « S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ». Or bon nombre des articles relatif à Emmanuel Macron (et pas uniquement les deux retranchés du site Dreuz) sont dans la calomnie et la diffamation.
On peut aussi ajouter que le point 9 de la charte de déontologie de Munich ajoute qu'il ne faut « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste. »

Tout ceci pris en compte, montre qu'au final, le site Dreuz appartient bien – même s’il s’en défend – à la "fachosphère". La tonalité de ses articles est toujours issue du même tonneau, celui dont se délecte l’extrême-droite et qui fait y souscrire plusieurs millions d’électeurs car sa force consiste à remuer en nous nos peurs et la peur de l’autre surtout.

L’article supprimé est finalement remplacé par un tout autre :

Au bas de cet article, une mention surprend :

Le second article issu du site GotNews.com et annulé par Dreuz.info porte aussi une explication :

Si donc A. Leger a été abusé par ces sources comme l'indique cette mention, pourquoi l'avoir "viré" ?

On croît tout de même rêver. Si ce n’est halluciner.
Parce que le site 4chan, et c’est le magazine Glamour qui l’écrit, c’est : « Sur 4chan, les images sont souvent des memes foireux, des trolls incessants ou des lolcats ridicules. En bref, c'est de ce site que proviennent toutes les images immondes mal photoshopées qui pourrissent Google images dès qu'on tape lulz (lulz, c'est le lol dans sa version mauvais goût intense). »
Comment un site comme Dreuz.info auquel collabore Alain Léger depuis longtemps peut-il prendre au sérieux un tel site ?
Parce que même sur le forum des 18-25 ans JeuxVideo.com, on peut lire ceci :



Et c’est à partir de ce site de "sources" qu’un gars écrit des articles pour un site d’information qui se veut crédible ?
S’il fallait une preuve de manque de crédibilité et d’Alain Léger et du site Dreuz.info, en voici au moins une !

De plus, si ces deux articles d’Alain Leger concernant E. Macron sont des papiers fort "manipulés", que penser de tous les autres articles d’A. Leger sur le même sujet et toujours en ligne sur le site, tel celui du 27 février 2017 « Macron, une affaire de 3 010 996€ », celui du 28 février « Explosif : François Bayrou compromis dans une affaire d'emplois fictifs. », celui du 1er mars « Macron rattrapé par les affaires : un militant payé par l'Assemblée », celui du 10 mars : « Un prêt de 550 000 euros à Emmanuel Macron relance la polémique », celui du 13 mars « La justice s'acharne sur Fillon et refuse d'ouvrir le dossier Macron », celui du 15 mars « La justice ouvre une enquête préliminaire sur la soirée à 389.759€ de Las Vegas de Macron », celui du 27 mars « Ben voyons … La Haute autorité pour la transparence blanchit Macron », celui du 29 mars « Entre ses multiples contradictions, Macron perd pied dans les [vrais] sondages » ou encore celui du 31 mars : « Pourquoi le PNF refuse d’ouvrir le dossier Macron », des articles sans plus de fondements que les deux supprimés ? Difficile de faire plus dense comme attaque ciblée et ... fausse.
Au total, ce sont près d'une vingtaine d'article du même registre sur plus de 300 articles d’A. Leger (depuis décembre 2014) que l’on peut retrouver sur le site Dreuz.info, des articles dont on peut douter de la loyauté et la crédibilité quand on voit les derniers publiés concernant E. Macron.

Malheureusement, le mal est fait. Et quel mal !
D’abord envers les medias et ceux qui vivent de ce métier. Après François Fillon qui a particulièrement accusé les medias de saboter sa campagne, après Nicolas Dupont-Aignan qui a dénoncé la façon dont les medias délaissaient les "petits" candidats ou après Marine Le Pen qui n’a cessé d’accuser elle aussi les medias d’œuvrer pour son concurrent, entraînant dans les classes populaires de droite comme de gauche un rejet assez profond des medias papier ou web (et ce alors que jamais autant de personnes n’ont reconnu aller chercher des informations sur le net), on aurait été en droit d’attendre beaucoup plus de vigilance de la part d’un site d’information qui prône dans sa présentation dénoncer « les mensonges des medias ».
Alain Leger radié des plumes de Dreuz, ce peut être une bonne nouvelle, si tant est que ce soit vraiment le cas, sauf que comme bien souvent sur internet, et plus encore avec la mouvance d’extrême droite, quand un article est publié par l’un, il est presque tout de suite repris par l’autre. Il ne suffit que de quelques secondes pour passer, via Google par exemple, de la page Dreuz « Cet article a été supprimé » à l’article originel intégral, images comprises, qui source bien Dreuz et Alain Léger. Tel la reprise par le site Comite-mfga.fr avec une accroche qui apparaît tpujours en Une du site 48 heures après son retrait par Dreuz.info :



L’article de Dreuz.info est donc et ce malgré son retrait vu des dizaines de milliers de fois puisque les reprises sont nombreuses, tels celui ci-dessus ou celui du site Voxpop.com (un site qui appelle à voter Marine Le Pen) :

Surtout, la page Facebook du site Dreuz.info affiche toujours le 6 mai en début de soirée l’information et rien n’indique que le papier est un faux. Quand on sait que la majorité des gens partagent et commentent au seul vu du titre et des premiers mots, on peut se demander si la démarche du site Dreuz.info de supprimer les articles est vraiment honnête. Car pourquoi ne pas le supprimer aussi de la page Facebook qui doit (normalement) faire plus de vues que le site ? Surtout que malgré le retrait sur le site, le lien continue d’être partagé sur le réseau Facebook.

En conclusion, au travers de ce simple exemple, voici la démonstration que quand on ne respecte pas les impératifs journalistiques de base, on se retrouve bien vite dans le mensonge et la désinformation. Limage dessinée par ces articles et jetée en pâture auprès du grand public reste présente dans les esprits, salissant celui sur qui le dévolu a été jeté : impossible de vraiment s’en laver. Un peu comme quand on a cassé des œufs pour faire une omelette : impossible de repartir de l’omelette pour reformer des œufs.

© Thierry Birrer – 5 et 6/05/2017

Complément. Le 5 juin 2017, le site Numerama s’est attaché à entrer plus précisément dans le détail technique de cette manipulation grossière décrite dans le premier article d’Alain Léger et visant à attaquer Emmanuel Macron. C’est à lire ici.

Nota juridique : Dans cette explication, aucun nom n'est masqué sur les copies d'écran puisque les pages du site Dreuz ou de la page Facebook de Dreuz sont des pages totalement publiques sans nécessité d'être "ami" pour en lire le contenu et les commentaires attachés.

 

[ Fin ]

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