Thierry Birrer - Photograph...isme

Contact ...
-

 

 

 

 

 

Quelques mots de moi ...

Quoique ayant passé l'âge des enfantillages – et même le demi siècle –, je reste un éternel adolescent qui regorge de rêves. A partir de cela, j'ai quelque mal à me glisser dans les habits de la pensée dominante ou à me fondre dans le moule de la commercialisation mondialisée. A cause de cela, beaucoup pensent même que je suis anarchiste. :-)
J'ai depuis que je suis adolescent un credo (une utopie?) que j'essaye d'appliquer à chaque instant dans la vie : "Les mains doivent servir à bâtir des ponts qui relient les hommes et non à élever des murs qui les séparent". Au fil des ans, je me suis cependant rendu compte qu'il ne suffit pas qu'il y ait des ponts pour que jes gens se rencontrent, il faut aussi qu'ils aient envie d'aller à la rencontre de l'autre. Peu importe donc les chemins parcourus, ce qui compte à mes yeux, c'est la façon dont on les a parcourus.
D'un caractère un tantinet ours (j'aime bien être seul ... avec les autres), je suis très ouvert aux rencontres et donc au partage, si celui-ci est réciproque ... évidemment !
Mon principal défaut: A toujours vouloir mieux faire, je suis quasiment toujours en retard dans mes réalisations.

Une citation : "La qualité du photographe doit être de savoir attendre le miracle (...) quand le petit dieu malin envoie la scène qu'on n'a pas attendue" (Robert Doisneau).

 

<< Un portrait by Tchetao (de PPS) en juin 2008.


Thierry Birrer • 6 rue Alphonse Paillet • F-02200 Soissons
Tél. +33(0)6.12.94.76.77 • Par mail :

A
Auteur-photographe, écrivain et reporter indépendant affillé à l'ADAGP et à l'Agessa – Code NAF 90.03B – Siret 33483171600082


L'interview. Ou quand des élèves me questionnent ...
-

A plusieurs reprises en 2016 et 2017, j'ai eu à parler devant des élèves des classes de seconde, première, terminale et BTS du lycée Jean Monnet de Crépy-en-Valois (Oise) et ceux-ci se sont révélés parfois très curieux concernant mon travail de photoreporter. Voici quelques questions et les réponses que j'ai apporté.

-. Pourquoi faites-vous ce métier ?
Je fais ce métier parce que je suis contre la guerre. Profondément contre la guerre. Je pense qu’il y a toujours un moyen de discuter, que quand on arrive à s’opposer physiquement et donc militairement, c’est que l’on n’a pas su trouver le moyen de communiquer, que c’est un échec. Comme je n’aime pas la guerre, alors je raconte comment les gens la vivent. Je ne comprends pas comment il est possible que depuis 2016 des millions de gens aient fuit la Syrie sans que personne n’essaye d’endiguer la chose.
Il s’est passé la même chose lors des guerres en ex-Yougoslavie, avec des millions de déplacés mais c’était il y a plus de 30 ans. Je suis atterré de voir que les mêmes actes entraînent les mêmes conséquences. Comme je ne peux empêcher ces guerres, alors je tente d’en montrer les conséquences sur les populations. Parce que nous ne pouvons l’ignorer. Si moi seul, je ne peux agir, peut-être que nous tous, si nous refusons cela, nous pouvons changer les choses. Je suis très idéaliste, même si je constate avec regret que la photo du petit Aylan échoué sur une plage turque en 2015 n’a strictement rien changé à la situation.

-. Qu'est-ce qui vous a poussé à faire ce type de reportages ?
Je n’ai pas toujours fait ce type de reportages. C’est la situation en Palestine quand j’étais lycéen qui m’a alarmé. Puis quand j’étais étudiant, c’est l’invasion de l’Afghanistan par la Russie qui a été le déclencheur. J’y suis allé avec un camarade de faculté, à l’origine parce qu’aucun média ne parlait de cela. J’ai depuis toujours été intéressé par la scolarisation des personnes déplacées et la façon dont on vivait à proximité des zones en conflit. Mais je n’ai pas toujours eu le courage de me rendre sur les lieux. Ou je n’ai pas toujours eu l’argent, parce que quand vous êtes indépendant, c’est vous qui financez vos reportages. Et puis, il y a la famille aussi. Dès que vous avez des enfants, tout change. Quand ce ne sont pas les parents... Ma mère s’est toujours opposée à ce que je me rende sur des terrains difficiles. Et même aujourd’hui, mon père ne comprend pas pourquoi je m’intéresse aux réfugiés syriens, que « ça ne rapporte rien ». Je regrette de n’avoir pas plus suivi le conflit en ex-Yougoslavie. Et aujourd’hui parce que je vis seul avec mes enfants, je ne peux me rendre comme je le souhaite en Ukraine (parce qu’on oublie vite que c’est toujours la guerre là-bas aussi), au Liban ou dans les camps de réfugiés dans les Balkans.

-. Pourquoi être freelance ?
C'est un choix de vie. Je n’aime pas trop les ordres, j’aime bien travailler "à ma façon" et surtout je suis très pointilleux, j’aime bien prendre le temps de faire les choses, de fignoler, or dans un monde qui va de plus en plus vite, c’est très difficile de prendre son temps. Alors le seul moyen de prendre son temps pour travailler sur un sujet et écrire un papier, c’est d’être indépendant. Si j’ai envie de travailler trois mois ou plus sur un sujet, de multiplier les angles et les rencontres, ce n’est pas en étant salarié d’un média que c’est possible. Parce que de plus en plus, les médias sont gérés de façon strictement financière : il faut sortir le papier pour le lendemain et au moins cher possible. Il n’y a qu’à voir la façon dont les photos reportages ont quasiment disparu des grands news magazines !
Alors, j’ai choisi d’être indépendant. Bien sûr, mes revenus sont en conséquence puisque je ne suis pas assuré du même revenu chaque fin de mois. Mais ce n’est pas l’argent qui est mon moteur dans ma vie. Si je voulais être tranquille et passer mes soirées devant la télé ou dévorer des livres à la bibliothèque , autant que je sois éboueur ! Si je voulais bien gagner ma vie, j’aurai pu faire une carrière en droit. Mais ce n’est ni la télé ni l’argent qui me motivent. Je préfère passer des semaines au bord d’une route pour documenter la situation de la paysannerie en Europe (un projet que j’ai pour 2018-2019) ou sur les migrations de ceux qui fuient la guerre. Aucun journal ne me paiera pour cela. Par contre, une fois que j’aurai réalisé mon affaire, il y en aura toujours un pour s’intéresser à mon travail. Je n’ai jamais su faire des choses rentables ! (rires)

-. Avez-vous la carte de presse ?
Non. D'abord parce que je ne l'ai jamais demandée. Ensuite, parce que je juge qu'elle ne sert strictement à rien. Je m'explique.
En premier lieu, je n'aime pas trop l'idée que, pour ce qui est de l'information, certains s'arrogent le droit de dire "Celui-ci est autorisé à écrire (en ayant la carte de presse) et celui-là ne l'est pas (en ne lui conférant pas la carte de presse)". De fait, la carte de presse n'est absolument pas obligatoire pour travailler et dans ma vie, elle ne m'a été demandée qu'à deux reprises, en 1993 à l'oocasion d'un championnat départemental de saut d'obstacle dans l'Aisne et en 1995 par l'équipe qui entourait le candidat Edouard Balladur lors d'un meeting à Amiens. En m'expliquant, j'ai tout de même pu couvrir ces deux événements. Elle m'a aussi été demandée lors de l'obtention de visas en Irak mais sans que cela m'empêche de tout de même faire mon travail. Je pense plus généralement que le droit d’informer ne doit pas être réservé à des groupements (publics ou privés) qui prétendent s’en réserver l’usage au travers d'une carte qui n'a aucune valeur juridique parce qu’ils en monopolisent les moyens. Je milite pour que le droit d’informer soit, comme la liberté d’expression et d’opinion, un droit social qui devrait être universellement partagé. D'ailleurs la liberté de la presse est un principe très ancien puisqu'elle est un droit universel que résume en le fondant l’article 11 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi."
En second lieu, cette carte atteste d'un statut mais en aucun cas ne valide une formation et pire n'atteste d'un savoir-faire. Et les cas sont très (trop !) nombreux de détenteurs de la carte de presse qui ont manipulé l'information et l'opinion publique. Or cette pratique est totalement contraire à la déontologie du métier. Car en réalité, pour avoir la carte de presse, il faut que plus de la moitié des revenus du demandeur de ladite carte le soient du fait d'un organe de presse. Ainsi, une présentatrice de la météo sur une chaîne nationale va-t'elle avoir la carte de presse alors que l'on peut se demander si elle répond bien à la définition du journaliste.
De plus, j'ai été directeur de publication et un directeur de publication ne peut pas détenir la carte de presse. Ce qui est tout de même aberrant.
Enfin, je travaille actuellement à l'obtention de visas pour aller travailler sur la condition de la petite paysannerie dans un certain nombre de pays, tels que la république de Kalmoukie en Russie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et pire, le Turkménistan, des pays où le simple fait d'être détenteur d'une carte de presse, est un délit. Des pays respectivement classés 148e, 157e, 169e, et 178e (sur 180) dans le dernier classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières. Dans certains pays, même en Europe pour la Macédoine et la Bulgarie, dire que l'on est journaliste, est bien souvent le meilleur moyen de voir des portes se fermer. Au mieux car les violences à l'égard des journalistes ou de leur matériel sont fréquentes surtout quand on travaille sur un sujet classé comme sensible comme peut l'être en ce moment la condition des migrants dans les Balkans.

-. Travaillez-vous seul ?
Oui, j’ai toujours travaillé seul. En ours solitaire. (rire)
Je suis capable d’attendre des heures quelque chose. A deux, c’est beaucoup beaucoup plus difficile. Sur certains sujets, je pense que c’est même impossible de travailler à deux.
Par exemple, en décembre dernier, quand je suis rentré de façon illégale dans les camps de réfugiés en Grèce, il valait mieux que je sois seul. Parce qu’à deux, c’est doubler les possibilités d’être repéré. Seul, quand il faut fuir, ce n’est pas difficile : on fuit. Quand on est deux, avant de fuir, il faut commencer par voir où est l’autre, l’informer que l’on part et si possible partir dans la même direction.
Autre exemple quand, en mai dernier, j’ai vécu avec les réfugiés sous la tente, comment imaginer s’inviter à deux ? Je suis très souvent invité, et être à deux, c’est multiplier les complications. Avoir de la place pour un, ce n’est pas la même chose qu’avoir de la place pour deux. Quand c’est une femme seule avec des enfants qui vous invite, être à deux signifie la placer en infériorité.
Encore un exemple, en Irak en février, quand des réfugiés m’ont dit « Ça vous intéresse de venir avec nous ? » et que nous sommes montés à six dans une Datsun. Nous ne serions jamais montés à sept. Alors qu’aurais-je fait de mon binôme ? D’autant qu’ensuite, je ne suis pas retourné d’où je suis parti mais, parce que justement j’étais seul, j’ai pu aller dans une autre direction que celle initialement prévue.

-. Si vous n'avez pas fait ce métier, qu'auriez-vous fait ?
Quand j’étais en seconde, je voulais être pâtissier mais cela n’était « pas un métier » pour mes parents. Instituteur aussi mais mes parents disaient que c’était « un milieu de gauchistes ». Ensuite en classe de première, j’ai pensé être astrophysicien, mais soit j’étais trop dans la lune (pour mes parents), soit pas assez bon en maths. J’ai pensé un temps être chercheur en biologie pour trouver des remèdes aux maladies mais je n’ai pas eu le courage de poursuivre des études durant plus de dix années. En fait, c’est le hasard qui a tracé ma voie professionnelle. Architecte m’aurait attiré aussi. Routier aussi parce que j'aime beaucoup les camions. (rire)

-. Pourriez-vous arrêter de faire ce métier ?
Évidemment que je pourrais ! Ne serait-ce que parce que sur le plan financier, ce n’est pas vraiment génial. Mais je n’ai pas du tout envie d’arrêter !
Pour ne parler que de la situation des réfugiés aujourd’hui en Europe, il n’y a que très peu de reporters qui travaillent sur le sujet. Certes, les médias qui publient sont très peu nombreux aussi, et donc c’est l’histoire du chat qui se mord la queue : pas de publication = pas d’argent = pas de reportages.
Je ne sais pas s’il y a cinq reporters (pour tous les pays européens) qui aient accompagné les réfugiés dans leur périple de Turquie en Europe. Je n’en connais qu’un qui l’a fait en bateau de la Turquie à la Grèce (un Français qui travaille pour Radio-France à Beyrouth). J’ai traversé la Grèce avec des réfugiés mais je n’ai jamais lu que quelqu’un d’autre l’ait fait. Je connais un Anglais qui a vécu trois mois dans le camp d’Idomeni pour raconter, dans un livre, la vie dans un camp sauvage mais son livre n’est pas encore publié.
Je ne peux me résoudre à dire « J’abandonne le sujet ! » quand les gens que je rencontre me disent en pleurant : « S’il vous plaît, racontez notre histoire ! Ne nous abandonnez pas une seconde fois ! » ... Une "seconde" fois parce qu’ils pensent avoir été abandonnés sous les bombes du régime syrien par la communauté internationale. Alors rien que pour cela, je n’ai pas envie d’arrêter.

-. Êtes-vous accroc à ce métier ?
Je pense que oui. ... Quelque soit le thème d’ailleurs. J’ai beaucoup couvert d’épreuves en sport automobile et j’ai eu la chance d’en faire un peu : la vitesse, le bruit, l’ambiance, il y a de quoi tombé drogué ! J’aime bien la mer et la pêche en mer, les odeurs, le danger aussi de ces métiers. ... Je suis assez malheureux quand les reportages se terminent, que ce soit en sport automobile, en reportage maritime ou quand je quitte ... un camp de réfugiés. Pourtant il n’y a rien de comparable entre une épreuve de 24 heures sur circuit et un camp de réfugiés en Irak, mais quand j’y suis, je n’ai plus envie de partir. J'ai sans cesse envie de repartir.

-. Comment peut-on travailler sur des sujets aussi différents ?
Je pense d’abord que la spécialisation d’un reporter dans un seul domaine durant toute une vie est une question qu’il faut se poser. Quelque soit le domaine : sport comme politique. Des habitudes se prennent, pas forcément bonnes, on devient moins curieux, on ne se remet pas en question. Donc je prône et je revendique le changement. Cela permet à la curiosité de rester au point le plus élevé, et c’est bien ce que l’on demande à un reporter : être attentif à tout et tout le temps. Quand on est habitué, on ne voit plus ! Tandis que quand on est nouveau sur un sujet, on doit creuser, et on peut arriver à poser de nouvelles questions parce que l'on pose un regard neuf. Celui qui s'y concentre en continu finit par ne plus voir ce qui ne bouge que lentement.
Durant un moment, faire autre chose ne veut pas dire non plus perdre le contact avec le sujet. Aujourd’hui, il est facile de rester informé. En ce moment, je m’intéresse principalement au sujet des réfugiés syriens et irakiens. Mais je ne sais dire ce que je ferai dans un an ou dans cinq.

-. Vous a t'on déjà tiré dessus ?
Pendant très longtemps, et le jour où cette question m'a été posée (janvier 2017), j'ai répondu : "Je ne pense pas". Et je complétais par : "Ou alors le tireur était particulièrement mauvais puisque je suis là devant vous aujourd’hui !"
Cependant, je ne suis pas un reporter de guerre. Je ne l’ai jamais été. Je m’intéresse aux populations et je n’ai jamais été avec des militaires, même s’il m’est arrivé de les côtoyer. Ce n’est pas d’eux que j’ai envie de parler mais de la façon dont les civils ressentent les choses. La guerre est horrible, tout le monde le sait ; je ne vois pas la nécessité de prendre en photo des hommes qui font la guerre. Je m’intéresse aux populations civiles
Normalement, les soldats, quels que soient leur bord, ne tirent pas sur les civils. Enfin, normalement, ils ne devraient jamais le faire, même si malheureusement on constate bien trop souvent le contraire.
Pour répondre précisément à la question posée, une première fois en Syrie en 1987, sur une route qui menait à la plaine de la Bekaa au Liban, une patrouille en surveillance au bord d'une route a visiblement interprété mon camescope que je tenais à l'épaule comme une arme et ce alors que je conduisais. J'ai vu un homme saisir son fusil mitrailleur, me mettre en joue mais précisément à ce moment, j'ai doublé une longue colonne de camions, ce qui m'a protégé de ce que j'ai alors interprété comme une volonté de me viser. Depuis ce jour, je ne filme plus en conduisant.
Une seconde fois en ex-Yougoslavie, dans la région de Vukovar, je me suis retrouvé avec des journalistes de CNN qui étaient pris sous le feu d’un engin blindé mais leur véhicule n'était pas spécifiquement visé mais l'ambulance qu'ils suivaient. Une autre fois, c’est un obus qui est tombé sur l’immeuble où je me trouvais. Mais je n’étais pas directement visé. Les personnes avec lesquelles je me trouvais n'étaient pas non plus visées dans l’intention de les faire fuir mais les soldats qui avaient pris place dans la nuit au pied de l'immeuble. C ’est malheureusement une tendance des conflits depuis maintenant les années 90 où les populations sont prises à partie de ce que l'on nomme ironiquement des "dégâts collatéraux" et ce en dépit des conventions de Genève. On le voit en Syrie actuellement.
Enfin en Irak, j'ai été souvent menacé : par un garde avec une Kalachnikov sur un chantier que je longeais de nuit à Erbil, par des gardes dans le secteur des ambassades toujours à Erbil et, la situation la plus difficile dans laquelle je me sois retrouvés, à Taklief (province de Ninive), où je me suis retrouvé sous le tir de djihadistes et ce alors que j'étais avec un groupe de civils dans une rue du village, ce qui s'est transformé en carnage. Je n'étais pas précisément visé : j'étais seulement au mauvais endroit au mauvais moment, un peu comme si j'avais été à la terrasse des bars visés près de la place de la République à Paris en novembre 2015.

-. Portez-vous le brassard "presse" ?
Non, je n’ai jamais porté le brassard "presse". J’en possède un, et même s’il m’arrive de l’avoir dans mes bagages, je ne le porte pas. Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que sur les terrains difficiles, du type conflits, je pense que c’est plutôt un moyen de se faire remarquer et de se faire tirer dessus. La seconde raison, ce qui m’intéresse de raconter, c’est la façon dont les gens vivent dans des situations difficiles. Et le meilleur moyen de le raconter c’est d’être au milieu d’eux, d’être comme eux. En immersion. Or avec un brassard presse, voire un casque, un masque à gaz ou un gilet pare-balles durant une manifestation – pour ne prendre que cet exemple – à quoi sert un brassard "presse" ? A ne pas être arrêté par les forces de l’ordre ? A ne pas être frappé ? ... Mais, pourquoi les forces de l’ordre en viendrait-elles à arrêter des manifestants, à les frapper ? Cela n’a pas de sens ! Pour se différencier des casseurs ? Voyons ! Il ne faut pas prendre les forces de l’ordre pour des abrutis et ce quelque soit le pays ! Si on ne sait pas distinguer un manifestant d’un photographe (puisqu’il a un appareil en main), d’un casseur (qui en général est masqué, cagoulé et porte une pierre ou une barre de fer en main), alors je pense qu’il faut changer de métier et ne plus faire de l’ordre ! Après, on me rétorquera, sur un conflit par exemple, qu’il faut que je me protège. Sauf que je ne suis pas un reporter de guerre, je n’accompagne pas des soldats qui montent au front et qui se battent. Je suis avec les populations. Comment voulez-vous que je sois crédible en questionnant sur la sécurité par exemple si moi-même je suis casqué et avec un gilet pare-balles ? C’est risible ! Les gens vont rire.
De plus, sans aucun identifiant, on se fond dans la population. On n’est plus identifiable, les gens parlent alors plus facilement. C’est même un avantage dans certains pays peu aimables avec les journalistes. Lors de mon voyage en Irak en février, les policiers et les gardes que l’on croise sans cesse avaient du mal à croire que j’étais reporter parce que j’étais à pied. A pied comme n’importe quel irakien. D’ailleurs, je n’ai que rarement mon appareil photo à la main ou autour du cou. Je ne le sors que quand j’ai besoin de photographier.

-. Avez-vous déjà eu peur ?
Peur, il ne me semble pas. De l'appréhension, oui. Bien sûr, quand la nuit vous voyez surgir quelqu'un cagoulé, muni d'une arme qu’il pointe sur vous et qui commence par s’exprimer dans une langue qui vous est inconnue, il y a de quoi ne pas être très rassuré. J’essaye alors de garder mon calme. Cependant, j’ai souvenir d’un passage devant un check point en Syrie en 1987 où je n’en ai pas mené large et aussi une fois en Croatie en 1990. Me trouver dans un endroit interdit, comme dans un camp de réfugié grec en décembre dernier, et y croiser des militaires qui vous paraissent vous chercher est toujours un moment d’une certaine tension. Mais je ne pense pas que ce soit de la peur.

-. Êtes-vous déjà rentré illégalement dans un pays ?
Non, jamais ! C'est déjà assez compliqué en temps normal alors prendre le risque de rentrer dans un pays sans le visa qui va bien, c'est un risque que je refuse totalement de prendre. Surtout que quand on est européen et que l'on doit avoir un visa, c'est forcément qu'il s'agit d'un pays "compliqué" du genre Irak, Russie, Syrie, Turquie, etc. Alors ne pas avoir de visa, c'est au minimum une explusion si l'on est à la frontière mais plus sûrement une arrestation. Je n'ai pas envie de me retrouver avec une accusation d'espionnage !

-. Vous arrive t'il de désobéir ?
Oui, malheureusement. Je dis "malheureusement" parce que je pense que quand on n’a rien à cacher, il n’y a aucune raison que l’on interdise un photographe ou un journaliste à un endroit donné. L’information est nécessaire à l’existence d’une démocratie pleine et entière. S’il ne peut pas y avoir d’information, alors il peut y avoir des dérives.
Alors oui, il m’arrive de désobéir. Surtout aux forces de l’ordre puisque ce sont elles qui posent parfois des interdits. Quand en décembre dernier, la porte-parole du Ministère grec de l’intérieur m’a adressé un courriel pour m’interdire de rentrer dans les camps de réfugiés, évidemment que je n’ai pas obéi ! La France et de nombreux états européens ont donné des millions d’euros à la Grèce pour qu’elle s’occupe des réfugiés. Et qu’a fait l’état grec ? Il a placé les réfugiés dans des camps sous administration militaire avec interdiction formelle aux journalistes d’y pénétrer. Mais pour quelle raison ? Alors, j’y suis rentré. Illégalement. En faisant le mur puisque la porte m’était interdite. Et j’en ai ramené ces clichés qui laissent stupéfait.

 


Le camp de réfugiès d'Oreokastro en décembre 2016.

-. Bénéficiez-vous d'un soutien psychologique ?
C’est une excellente question car la prise en charge psychologique des reporters commence tout juste à exister !
Même si je ne suis pas au front, je reconnais que c’est assez traumatisant de passer des jours, des semaines au contact des réfugiés et c’est toujours assez rude de revenir dans le réel de notre confort occidental, même si la même misère est parfois en Occident telle qu’à Calais ou à Paris.
Mes clichés vous impressionnent et ce ne sont pourtant pas des photos de guerre mais de simples photographies de la conséquence des conflits. Il est donc facile d’imaginer ce que ressentent ceux qui sont directement et au plus près des combats. Quand je suis rentré de mon reportage auprès des réfugiés en Grèce à Noël 2016, je suis resté plus d’un mois sans qu’une seule de mes nuits n’ait pas été emplie d’un rêve relatif aux réfugiés que j’ai croisés, surtout quand je retrouve les mêmes familles et les mêmes enfants des mois durant. Pour être franc j’y pense tout le temps. Il m’arrive même d’en pleurer quand je retombe sur certaines de mes notes ou que je revoie certaines de mes photos. Peut-être aurai-je alors besoin d’aller voir un psy ? ... Je ne sais pas. J’essaye de faire baisser la pression en m’évadant. En ce moment, cette évasion, c’est de traduire en l’adaptant un livre anglais relatif à l’histoire d’une marque automobile anglaise des années 60-70. Mais même quand je suis en salle de recherche à la BnF (Bibliothèque nationale de France à Paris), il m’arrive d’y penser. Je ne suis pas sans un seul jour sans y penser. Contrairement à d’autres, je ne bois pas, je ne fume pas, je ne suis addict à rien. Je croise souvent des gens, surtout après une conférence, qui se demandent comment je fais pour "tenir" ; je ne me pose pas la question comme cela.
Je pense aussi que je peux difficilement me plaindre : je vis en France qui est un pays sûr, je mange à ma faim, je fais un job qui me plaît. Comment pourrais-je aller voir un docteur en lui disant « Ouhlàlà, c’est dur ce que je vois, docteur ! » quand il pourrait me répondre « Et vous, vous ne croyez pas que ce qu’ils vivent est autrement plus dur que simplement le raconter ? ». ...
Peut-être que je couvre ce traumatisme par une boulimie d’actions, quoique mes parents déjà me reprochaient de vouloir trop en faire alors qu’à l’époque je n’étais qu’étudiant. ... Je ne sais pas trop quoi répondre en fait. ... Pour l’instant, je crois que ça va.

-. Comment cela se passe t'il sur le plan familial ?
Vivant seul avec mes enfants, c’est compliqué. Pour être franc, je suis pressé qu’ils prennent leur envol dans la vie (ma fille n’est encore qu’en Première L.). De ce fait, je ne peux m’absenter aussi longtemps que le souhaite ni aussi fréquemment. Ce que je fais les passionne, ils demandent à voir les clichés que je ramène et à entendre les histoires que je ramène. Après, je ne raconte pas forcément tout non plus, histoire de ne pas les inquiéter plus que nécessaire. Aujourd’hui, on ne présente l’Irak que sous l’angle de la guerre, des attentats et de Dae’ch. Mais on y vit presque normalement. Bon, ce « normalement » est bien sûr à relativiser, mais je pourrais vous présenter un reportage à Erbil où absolument rien ne transparaîtrait de la guerre qui se déroule pourtant à 60 km à peine. Vivre seul avec des enfants n’est cependant pas ce qui est le plus souhaitable.

-. Comment faites-vous avec le droit à l'image ?
Voilà un sujet intéressant, surtout avec l’utilisation des réseaux sociaux où justement le droit à l’image est très loin d’être la préoccupation de tous ceux qui en usent !
C’est quoi le droit à l’image ? C’est l’obligation de respecter l’avis d’une personne avant de diffuser son image. Alors bien sûr, prendre une photo et la diffuser nécessite d’avoir l’accord de la personne photographiée, quelque soit son âge, quelque soit sa nationalité et l’endroit où a été prise cette photo. C’est là que les choses se compliquent énormément. C’est loin d’être toujours facile, surtout quand les événements font que l’on n’a ni le temps de demander cet accord, ni parfois que l’on parle la langue de ceux qui sont photographiés.
J’essaye donc d’être à la fois dans le droit et dans la morale et de naviguer en fonction de l’un et de l’autre. Quand je photographie des enfants, je questionne systématiquement les parents. Je ne me cache jamais pour prendre des photos, je fais en sorte que les gens me voient et j’obtempère toujours quand les gens indiquent d’un simple geste qu’ils ne souhaitent pas être pris en photo. Je ne photographierai jamais des personnes dans une grande souffrance, sauf s’ils veulent que cela devienne un témoignage. Et je prends toutes les précautions pour que mes clichés ne soient jamais offensants ou dégradants. Mais cette question du droit à l'image se heurte avec violence avec la nécessité d'informer. Ne pas photographier un mourant de soif en Erythrée pour le respecter, certes, mais peut-on ne pas montrer qu'en 2017 on meurt de soif au bord d'une route où circulent de rutilants 4x4 Toyota ? Je n'ai pas la réponse.

-. Cela ne vous dérange pas de photographier la misère et de ne pas plutôt aider ?
Il y a deux parties à cette question.
Photographier la misère ... ou la peine ou les effets de la guerre ? Mais bien sûr que si, ça me dérange ! Et voilà pourquoi je photographie. Parce que ces situations ne sont plus supportables. ... Plus ces photos nous dérangeront, plus nous en aurons marre de les voir et peut-être – permettez moi de rêver ! – que nous agirons pour que nos gouvernants fassent en sorte que ces situations disparaissent. Alors, oui les derniers spectacles que j’ai vus dans les Balkans, dans les rues de Paris ou en Irak m’ont fait de la peine. Ce sont les spectacles qui s’offrent à moi qui me dérangent. Pas de faire ce métier.
Photographier ou aider ? Ce sont deux métiers différents. Les deux sont indispensables. Je ne possède ni les savoirs, ni les pouvoirs, ni les sommes nécessaires à corriger ce que je vois. Bien sûr, si quelqu’un est en souffrance, je vais essayer d’intervenir. Et cela m’est arrivé en Grèce en mai 2016 où j’ai cessé d’être reporter pour tenter d’aider un enfant en grande souffrance au bord de la route et je le raconte dans un livre à paraître dans quelques mois. Mais n’étant ni médecin, ni urgentiste, mes moyens sont non seulement limités mais je peux aussi faire des erreurs.


Infos complémentaires ...
-

-. Une formation à base de droit et de langues me permet d'éviter quelques erreurs majeures et de me faire comprendre en terre étrangère.
-. Un parcours professionnel assez varié ("caractère instable" dirait un recruteur !), débuté en 1982 dans l'imprimerie de labeur, puis passé "free-lance" en 1986, au cours duquel j'ai accumulé quelques expériences de formateur (arts graphiques et communication), d'encadrement d'équipe (jusqu'à 6 collaborateurs), de pilote et copilote (rallye et piste) me permet aujourd'hui de pouvoir répondre à des questions parfois assez complexes émanant de certains clients. Au bout de 30 ans d'exercice, j'ai suffisament commis d'erreurs pour vos donner quelques conseils avisés et vous aider à moins trébucher.
-. Peut-être suis-je drogué du travail (je ne sais pas m'arrêter) mais d'un autre côté, je me repose en changeant de travail. :-)
-. Souvent enthousiaste, j'avoue quelques passions: la défense de la liberté de la presse, la déontologie de l'information, la montagne, quoique pour cette dernière mes occupations professionnelles et ma vie de famille m'en tiennent éloigné en quasi permanence.


Des photographes dont j'apprécie le travail ...
-

... Sophie Ristelhueber (pour sa vision du reportage et sa façon de témoigner), l'Anglais James Sutton (pour les couleurs dans ses portraits), Stanislas Guigui (pour ses reportages sur les laissés-pour-compte de Bogota), la Néerlandaise Désiree Dolron (pour ses cadrages et ses rendus de couleur), Georges Bartoli (pour l'intégralité de son travail), l'Américain James Natchwey (pour son engagement et son travail), l'Américain Elliott Erwitt (aaah, le jour où je ferai des noir & blancs comme les siens ...), l'Anglais Darren Heath (aaah, ses photos de Formule 1 ...), Cédric Marcadier (pour son utilisation des vitesses lentes en sport auto), l'Anglais Tim Flach (pour son travail Equus), Loïc Lequéré (pour l'étonnante douceur de ses photos, tant en portrait qu'en paysage), l'Anglais Michael Kenna (pour ses noir & blanc au carré), l'Autrichien Akos Major (pour ses rendus très particuliers des paysages maritimes) ...

© 2009-2017

> birrer.fr

-